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Berlinale 2012 : L'inévitable Mister Godwin

Festival / Récompenses | Par Hendy Bicaise, Chris Beney | Le 14 février 2012 à 18h08

Tag zwei pour nos amis Chris et Hendy (ça veut dire « jour deux » en allemand, impressionnant hein ?) qui se frottent à la rigueur germanique, à leur production cinématographique SF un peu farfelue, et au mystérieux Mike Godwin. Récit d'une aventure trépidante.

Tous les internautes connaissent la loi édictée par l'avocat américain Mike Godwin, loi selon laquelle « plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s'approche de 1 » (dixit Wikipedia). De récents débats à l'assemblée nationale ont prouvé la parfaite validité de ce principe dans le monde tangible. A Berlin, fut un temps où le point Godwin était atteint sitôt une conversation engagée, dès le premier salut échangé. Plus qu'ailleurs, le dérapage est à éviter. Plus que jamais soucieux de ne pas céder à une vaine et dégradante évocation du Troisième Reich, nous avons mis un point d'honneur à ne jamais faire de référence au nazisme pendant ce festival. Qu'elle n'est pas notre surprise de constater que la Berlinale met tout en oeuvre pour tester la fermeté de notre résolution, au fil d'épreuves inattendues et à la difficulté croissante.

Niveau 1 : la petite Elsie de M le maudit.
Il est plus de 23h sur la Viktoria-Luise-Platz, espace enneigé au calme bucolique, quand surgit une fillette de cinq ans tout au plus, vêtue d'un blouson qui la fait ressembler au Petit Chaperon rouge. Aucun adulte pour l'accompagner. La gamine rentre seule chez elle. Chacun de nous se dit que les parents de l'enfant n'ont jamais vu le début de M le Maudit, quand est enlevée la petite Elsie Beckman, que sa mère appelle longuement en vain. L'un de ces Fritz Lang dont Siegried Kracauer et d'autres exégètes du cinéma diront qu'il préfigurerait l'avènement en Allemagne du Naz... du totalitarisme.

Le point Godwin est largement évité, surtout que l'enfant en question regagne son foyer saine et sauve.


Une nouvelle proie? extrait de M le Maudit

Niveau 2 : notre ami du métro.
Il est plus de 23h dans la rame de métro de la ligne 4 menant à la Viktoria-Luise-Platz, espace enneigé au calme bucolique, quand un usager se met à fixer étrangement l'un d'entre nous. Cela aurait été flatteur si le passager en question n'avait deux yeux noirs pas plus gros que des têtes d'épingles, aussi expressifs que ceux du requin des Dents de la mer, un blouson que l'on trouve parfois sur les épaules des services d'ordre de partis très soucieux de l'intégrité des nations qu'ils défendent, et de belles rangers à la bonne odeur de cirage, mises en valeur par un joli pantalon étroit au niveau des chevilles. Un vrai néo-naz... néo-fasci... jeune désoeuvré ayant sûrement trouvé dans la violence le seul exutoire à sa rancoeur envers la société.

Le point Godwin est esquivé, tout comme la haine féroce de notre compagnon de voyage qui nous a sûrement prix pour des collabos avec nos corps flasques, nos yeux marrons, nos cheveux bruns et nos poches pleines de papiers dans lesquels son regard vide a dû voir des lettres de dénonciations.

Niveau 3 : Bruno Ganz.
Il est plus de 23h sur le quai de la station Potsdamer, alors que nous nous apprêtons à regagner la Viktoria-Luise-Platz, espace enneigé au calme bucolique, quand sur le quai apparaît devant nous Bruno Ganz, l'acteur vu récemment dans Sport de filles de Patricia Mazuy, et avant, dans The Reader. Et L'Homme sans âge. Et Copacabana. Et Un crime dans la tête. Et L'éternité et un jour. Et Les Ailes du désir. Mais comme toutes les filmographies ont une fin et que nous ne pouvons pas repousser éternellement l'inéluctable, il faut le dire : La Chute. La Chute, dans lequel il interprète magistralement Hitl... il joue le rôle du Fuhre... il fait des saluts naz... il joue dans un meme un moustachu qui crie très fort et s'énerve contre tout et tout le temps, en fonction des sous-titres qu'on lui adjoint.

Si le point Godwin n'est pas atteint, c'est simplement parce que Bruno Ganz ne porte pas la moustache à ce moment là. Une erreur d'inattention de notre part ou une simple ombre projetée sur sa lèvre supérieure et c'en était fini de nos bonnes résolutions.


Hitler en colère extrait de La chute

Niveau 4 : Iron Sky.
La nuit de tous les dangers laisse enfin place au cinéma et à ses fantaisies. Fantaisie ? C'est mal connaître la Berlinale qui se fait chaque année un devoir de présenter un film directement inspiré de la période la plus trouble et écoeurante de l'histoire allemande, film aussi appelé « Moritz Bleibtreu movie », du nom de l'acteur allemand qui figure toujours à son générique. Il y a deux ans, c'était Le juif Süss, d'Oskar Roehler, sifflé en projection presse pour sa maladresse idéologique, relatant la genèse du film de propagande éponyme de la fin des années 1930. L'année dernière, c'était Mon meilleur ennemi, de Wolfgang Murnberger, dans lequel Moritz Bleibtreu interprétait un juif pourchassé et fils d'un marchand d'art déporté dont le seul but était de reprendre aux naz... un tableau d'une grande valeur pécuniaire. Ceux à qui le film avait donné la nausée se souviennent encore de son sourire triomphant à la fin, quand l'objet inestimable entre ses mains suffisait à effacer tous les stigmates du génocide.

Cette année, Moritz Bleibtreu est au générique de The Fourth State, film présenté dans une section anonyme et qui n'a a priori rien à voir avec le Troisième Re... Sommes nous épargnés pour autant ? Certainement pas, car la star inattendue de la Berlinale 2012 n'est autre qu'Iron Sky, l'histoire de... nazis sur la Lune. Là, on rend les armes. Nazi par ci, Führer par là, Quatrième Reich ailleurs, Heil pour tout le monde : la SF du finlandais Timo Vuorensola dit tout haut pendant 1h40 ce que nous nous sommes interdit de dire tout bas. Un défouloir, une purge, comme lorsque la Sara Forestier du Nom des gens s'exilait dans la cuisine pour évacuer toutes ses allusions malheureuses à la Shoah qui lui bouffaient la tête, lors du dîner avec la mère de Jacques Gamblin, traumatisée à jamais par la déportation de ses parents.

La conférence de presse rend notre défaite plus cinglante encore. « Comme toutes les bonnes choses en Finlande, l'idée d'Iron Sky est née dans un sauna. Je me suis soudain levé et j'ai dit : "faisons un film sur des nazis venus de la Lune" ». C'est sur ce seul pitch que le projet s'est vendu au marché du film de cannes 2011 (il s'appelait alors Nazis from the Moon) et que tous les acteurs se sont engagés. Les acteurs, et un bon paquet d'internautes, qui à force d'investissements et d'achats de produits dérivés ont apporté le million d'euros nécessaires au bouclage du budget de cette production finlandaise, australienne et... allemande. La Berlinale était-elle vraiment le meilleur endroit où montrer des nazis exilés sur la face cachée de la Lune depuis 1945 et qui attendent 2018 pour lancer une offensive contre la Terre à coups de zeppelins spatiaux et de morceaux de Lune ? Oui répond Timo, son porte-bonheur bien posé en évidence devant lui, une figurine du Capitaine Picard de Star Trek. Il faut dire que ses nazis sont davantage des archétypes de méchants absolus que des agents de la barbarie et du génocide. Iron Sky oscille d'abord entre pastiche efficace façon Black Dynamite, farce politique lourdaude ponctuée d'éclairs qui ne mènent à rien (les Etats-Unis ont une présidente qui a tout de Sarah Palin et dont la réélection tient à la réalisation de son projet d'envoyer un noir sur la Lune), et bouffées délirantes habituellement dévolues à cette franchouillardise qui a donné à La Septième compagnie et à Papy fait de la résistance leurs lettres de noblesse. C'est rarement drôle et ça le devient de moins en moins parce que Vuorensola abandonne toutes velléités humoristiques pour développer une SF plus rigoureuse, rythmée (des scènes certes laborieuses, mais qui s'enchaînent vite), techniquement ingénieuses (le mélange New-York / vaisseaux spatiaux nazis trahit la faiblesse des moyens, mais les vues dans l'espace sont nettement plus convaincantes, voire éclatantes pour quelques rares plans), reluquant ouvertement vers Armageddon et Independence Day (reluquant seulement). Il ne restera pas dans les mémoires, mais pour nous, il sera toujours le film Godwin par excellence, celui qui aura brisé nos rêves de passer une Berlinale sans faire référence au naz... Ah oui, c'est vrai, maintenant on peut le dire. Isme.

Images : © Buena Vista International Finland & © Universal Pictures

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