faisons au mieux

James L. Brooks, cet architecte du bien

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 20 février 2012 à 17h12

Profitons de la projection du dernier film de James L. Brooks, Comment savoir, ce jeudi 23 février au Studio des Ursulines pour le Thursday Night Live, pour nous intéresser de plus près du cas du vivifiant cinéaste américain, aussi bien producteur de génie avec les Simpsons, que réalisateur à l'âme ébréchée, jamais amer, toujours optimiste.

Le goût de l'insaisissable

La perception de James L. Brooks en France est bien différente de celle qu'on peut avoir de cet homme de cinéma, mais aussi de télévision, dans son pays natal. C'est bien simple ici son nom n'évoque que le souvenir de quelques mélos (à l'heure où plus personne ne semble savoir apprécier un grand mélodrame poignant), comédies dramatiques où Jack Nicholson cabotinait, mais toujours avec classe. Outre le fait que cette vision soit absolument biaisée, et qu'une relecture de son oeuvre est devenue indispensable en ces temps où la comédie s'empare de toutes les sphères du cinéma (le triomphe du modèle geek selon Judd Apatow), il faut rappeler que Brooks a commencé sa carrière dans les années 70, à la télévision, pour laquelle il produit les Simpsons depuis ses débuts (il y a donc déjà plus de vingt ans). Ce qui lui valut un respect sans faille de la part des producteurs comme de celle des acteurs, comme une sorte de figure tutélaire et toujours souriante.

Sa première réalisation, Tendres passions (fausse traduction burlesque de Terms of Endearment), lui permet d'entamer sa longue collaboration avec Jack Nicholson. En 1984, Nicholson sort de Shining et n'a pas encore été le Joker de Tim Burton dans Batman. Il décide d'utiliser ses grimaces et son pouvoir de fascination hystérique pour servir un humour féroce, dans le rôle d'un astronaute brinquebalant et débauché qui s'amourache de sa voisine, interprétée par Shirley MacLaine. Un rôle qui lui vaudra un Oscar, dans la catégorie meilleur second rôle. Déjà on remarque l'amour de Brooks pour des personnages humbles arrachés d'un quotidien d'ennui et de turpitudes pour, l'espace d'un instant, se laisser aller à la passion. Le film fonctionne, comme Comment savoir, dans une sorte de stase, de longue observation d'une relation qui se noue entre deux personnages qui ont déjà vu leur vie passer. Une audace parfois déconcertante apparaît également, lorsque le film fait une embardée en son milieu, pour prendre une toute autre direction, et s'attarder sur les proches de ce couple. « It's not my fault but I'm sorry » disait Shirley MacLaine, qui exprimait alors toute la mansuétude de ce cinéma calme, mais souvent à fleur de peau.


Foncer sur la plage extrait de Tendres passions

L'importance de l'anecdotique

Il est des chemins de traverse parfois difficiles à négocier, des rencontres imprévues, des moments qui semblent pouvoir redéfinir tout un avenir, mais qui, finalement, ne se transforment qu'en bons souvenirs. En changeant de perspective sur son récit, Brooks met les amourettes au second plan - même si c'est parfois ces mêmes amourettes qui peuvent nous sauver - et nous relate l'importance selon lui de la famille, la nécessité de se rapprocher en temps de crise, pour éviter le plus grand mal contemporain imaginable : la solitude. La véritable, celle qui nous empêche de ressentir, de nous inquiéter, de porter le moindre regard sur l'autre. Broadcast News, où Brooks taquine gentiment le milieu de la télévision, et surtout celui des journalistes, s'attache à ce même programme : à tout âge la passion peut subvenir, ce qui change, c'est la façon plus raisonnée dont nous la pondérons, dont nous tentons de la faire rentrer dans le moule de notre vie, d'en peser le pour, et le contre.

Il y a des histoires qui débutent donc, et des histoires qui finissent, et parfois bien mal. Dans Spanglish, le très maladroit et sensible Adam Sandler s'adjoint les services d'une femme de ménage dont il ne comprend pas la langue. Son mariage ressemble de plus en plus à un enfer, et retrouver un peu de plaisir et d'accalmie au détour d'un sourire sera largement suffisant pour que Sandler s'attache à cette belle jeune femme. Aussi mélancolique qu'affectueux, où la passion semble toujours une porte de sortie déraisonnable, Brooks parvient à nous conter l'inextinguible bonheur d'une relation qui bourgeonne, et ce même si elle ne doit aller nulle part.


Dispute en voiture extrait de Spanglish

Hésitations et atermoiements

L'équation se complexifie au fur et à mesure des années : des couples qui se chamaillent, des trios qui s'entrechoquent, et, dans le cas de Comment savoir, un vrai triangle amoureux comme nous n'en avions pas vu depuis longtemps. Un vrai choix cornélien s'impose à Reese Witherspoon : vais-je flancher et tomber dans les bras, ou plutôt y rester, du bel Owen Wilson ? Vais-je réussir à discerner le charme secret d'un Paul Rudd, traqué par le FISC pour de sombres affaires incluant les malversations de son père (Jack Nicholson, toujours), plus discret, plus sage, mais éperdument amoureux ? Ça peut sembler pas grand chose, mais la science ciselée du dialogue de Brooks, son art de la répétition et de la cascade de sentiments qui tombe à plat nous met, nous aussi, dans l'état d'un personnage Brooksien. Confusément amoureux, déglingué et passionné, paisiblement attentif et enthousiaste.

Finalement, peu importe la direction de la passion, c'est l'instant présent qui compte. C'est à ce point de rupture que Brooks s'attache, et là qu'il refuse de mentir. Ces instants qui nous définissent, de rares rencontres, n'auront parfois aucun lendemain, mais nous pourrons toujours chérir leur souvenir. Le film, lui, n'a pourtant pas rencontré son public, en France comme aux Etats-Unis. Certains diront qu'il ne s'agit que d'une comédie, nous leur rétorquerons que Brooks, comme d'autres, Blake Edwards hier, Wes Anderson sûrement aujourd'hui, ont élevé la comédie au rang de prisme pour observer le monde, façon de savoir rebondir sur les difficultés, façon d'accepter la cruauté absurde du quotidien et de s'en moquer avec panache. La confiance qui est accordée au cinéaste reste sans faille aux Etats-Unis, et ses amis nombreux, preuve en est l'orfèvrerie de la composition des plans de Comment Savoir, dont le directeur de la photographie n'est autre que Janusz Kaminski, chef opérateur de tous les films de Steven Spielberg depuis La Liste de Schindler. Il y a donc bien plus que de la romance, et bien d'autres choses que de la comédie dans Comment savoir, il y a la vision d'un homme qui s'inquiète de ses contemporains, qui doute lui aussi, et tente de les faire exister dans les meilleures dispositions possibles. Pour donner une chance à la fiction, offrir une rédemption à ceux qui ont couru après le rêve américain, celui d'en faire toujours plus, le temps d'un film : il nous harangue alors, seulement, à faire de notre mieux.


Laisser de l'espace extrait de Comment savoir

Pour rappel, le Thursday Night Live c'est tous les mois au Studio des Ursulines (près du métro Luxembourg) et c'est l'occasion de redécouvrir de grandes comédies américaines parfois injustement oubliées, ou au contraire, qui jouissent d'un statut d'oeuvre culte et précieuse. Vous trouverez plus d'informations sur la page Facebook de l'événement. Et pour les plus facétieux d'entre vous, ceux qui connaissent leur Brooks sur le bout des doigts, on vous laisse vous dépatouiller avec ce petit quiz. Attention, il y a du Francis Cabrel inside.

Jouez au Moviequiz James L. Brooks

Image © Columbia Pictures trouvée sur Accreds.fr

À ne pas rater...
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -